Ah, la relation entre frères et soeurs. Elle me posait question alors même que l’enfant numéro deux n’était encore que dans mon ventre.
- Est-ce que le premier en voudrait toute sa vie à la deuxième de l’avoir délogé de son trône d’enfant unique?
- Est-ce que la deuxième allait souffrir de ne jamais avoir eu ses parents pour elle toute seule ?
- Et surtout, allais-je gagner au tirage au sort : assister à la naissance d’une vague indifférence, d’une entente cordiale ou d’une relation « à la vie, à la mort » ?
Bien évidemment, la réalité s’avéra moins manichéenne que mon imagination. Car la relation fraternelle est aussi fascinante qu’évolutive, et c’est sûrement cela qui la rend si complexe. Il n’y a qu’à observer le fruit de mes entrailles, ne serait-ce que quelques minutes. Ils sont capables de passer d’un profond moment de tendresse et de complicité à une phase de dispute incluant -si je n’interviens pas- coups et blessures.
Alors, oui, ils s’entendent bien, en semaine A. Posez-moi la question la semaine B, et ma réponse sera toute autre.
Lasse de me trouver au cœur du conflit israélo-palestinien la moitié de ma vie, j’ai bien essayé d’analyser les raisons de leurs différents. Il ne m’a pas fallu très longtemps pour en conclure qu’elles étaient aussi diverses qu’imprévisibles.
Prenons un exemple concret, si vous le voulez bien.
Pas besoin d’aller chercher très loin. Dimanche dernier. Sept heures du matin. Enfin, sept heures, on n’est pas vraiment sûr avec cette histoire de changement d’heure, mais ce qui est sûr, c’est que l’idée de dormir une heure de moins (et plus si affinités), on l’a bien intégrée depuis qu’on a accouché.
Sept heures, disais-je, et j’entends du bruit qui émane du bout du couloir.
Ça gigote, ça chuchote, ça complote.
L’un ouvre ma porte en gloussant, l’autre allume le plafonnier en pouffant.
Pour réveiller leur mère en grande pompe, sa progéniture s’entend à merveille.
C’est après que les choses se détériorent.
Car LA progéniture, justement, voudrait, comme son article défini féminin singulier l’indique, avoir l’exclusivité du câlin.
Et j’ai beau lui expliquer que j’ai deux bras, ce qui tombe bien vu son nombre pair, ma logique mathématique ne l’atteint pas.
Il semblerait que mes deux enfants aient bien intégré ce que je leur ai répété maintes fois :
« l’amour d’une mère ne se divise pas, il se multiplie ».
Ce que la devise ne disait pas, c’est qu’ils voudraient les deux bras. Chacun. Et que je ne suis pas Shiva.
La suite, tu la connais.
Cris et forces vociférations. Cheveux tirés, coups de pied et autres joyeusetés qui conduisent à tout sauf au câlin, et surtout à un bon trente de tension de la mère de famille. Je me lève, il est sept heures dix et je doute de ma compétence à élever deux êtres humains, qu’est-ce qui m’a pris, j’avais déjà bien assez à faire avec moi.
J’envoie alors un message à une personne à qui je peux me confier.
Quelqu’un qui saura me rassurer.
Quelqu’un qui ne me jugera pas.
Je cherche son nom parmi les trois numéros favoris de mon répertoire.
Mon doigt s’arrête naturellement sur celle que je cherchais.
Ma sœur.