Tu te rappelles le temps béni (ou pas !) de l’école à la maison ? Pour nous autres, parents qui avons remis notre enfant à l’école avec un certain soulagement, Julie pourrait passer à nos yeux pour une extraterrestre… En effet, cette maman de 4 garçons a fait le choix de « l’instruction en famille », l’IEF pour les intimes. Et pourtant, à l’écouter, elle réussirait presque à nous convaincre (presque, j’ai dit. C’est quand déjà la rentrée ?!). Mieux encore, si comme moi tu paniques parce que ton enfant bute sur la table de 3, elle te fait déculpabiliser. Rencontre.
Quels sont les grands principes de l’IEF ?
L’IEF est l’équivalent français du « homeschooling ». On appelle parfois les familles qui la pratiquent les « non-sco ». Il y a plein de manières différentes de la pratiquer : faire l’école à la maison avec un emploi du temps, utiliser des manuels comme le ferait un enseignant, mixer avec des ateliers de type Montessori… Chaque famille va plus ou moins loin dans sa recherche d’une éducation alternative en utilisant une ou plusieurs pédagogies et en organisant son temps comme elle le souhaite. De notre côté, nous avons été attirés par le unschooling (une modalité du homeschooling), qui consiste à apprendre en toute liberté : l’enfant choisit quand, comment et avec qui. L’idée n’est pas de reproduire l’école dans un autre lieu (la maison), mais bien d’offrir à nos enfants une approche différente basée sur le respect de leur rythme et de suivre leurs aspirations. Cela signifie pour l’adulte avoir confiance en son enfant et se dire que les apprentissages sont intrinsèques de la vie et également se dire que les leçons imposées, au delà de leur inefficacité, ne feront pas un adulte heureux et épanoui. Nous parents agissons donc comme un guide pour apporter à nos enfants ce dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin. Ce qui, à mon sens, n’est pas incompatible avec des exercices, des cahiers, des manuels ou même une rescolarisation, à partir du moment ou cela relève du choix de l’enfant.
Quelles étaient tes motivations pour descolariser tes enfants ?
J’ai découvert en 2017 ce monde méconnu en visionnant le reportage Être et devenir de Clara Bellar. En tant qu’enseignante, je savais que seule l’instruction était obligatoire (et non la scolarisation), mais je pensais cette pratique réservée aux familles nomades, aux enfants en situation de phobie scolaire ou en incapacité d’aller à l ‘école… La motivation est venue de nos deux aînés, alors scolarisés en CP et CE1. Ils ont découvert en étant invités chez un copain qu’il faisait « l’école à la maison » avec sa maman, sa sœur et son frère. Une pièce de la maison était d’ailleurs dédiée aux ateliers. C’était aux vacances d’avril 2019, leur entrain était tel qu’il nous a convaincu de nous lancer dans l’aventure à la rentrée 2019. Le mal-être scolaire depuis la petite section de notre fils Martin (8 ans), les conflits avec Clément (9 ans) lors des fameux devoirs, la violence naissante chez Louis (4 ans) à l’époque scolarisé à mi-temps en TPS, l’impression de mettre tout mon temps et ma patience pour mes élèves et de rentrer avec un réservoir vide n’ont fait que me conforter dans mon choix…
Comment as-tu « préparé » cette déscolarisation ?
Nous nous sommes rapprochés d’une association locale Libres d’apprendre regroupant des familles IEF de Charente. Des lectures m’ont aidée avant le grand saut : Apprendre par soi-même avec les autres dans le monde de Mélissa Plavis/John Holt, Apprendre sans l’école et Les apprentissages autonomes.
Comment a réagi ton entourage ?
Xavier, mon mari, a cheminé en même temps que moi depuis notre découverte du reportage Être et devenir. C’est important d’avancer ensemble dans la même direction puisque ce choix impacte sur notre organisation familiale. Nos amis n’ont pas été surpris dans l’ensemble car les conversations nous amènent souvent à parler école et apprentissages, notamment avec mes amies enseignantes. Ma famille a moins bien accueilli la nouvelle. Pour ma maman, enseignante en retraite et très attachée à l’école de la république, il n’était pas concevable d’envisager les apprentissages ainsi sans se marginaliser de la société.
A quoi ressemble une de tes journées ?
Pas de journée type mais quelques repères qui structurent la journée, la semaine, le mois. On suit le rythme des enfants.
- Lever entre 7h30 et 8h30 (pas de réveil sauf exceptionnellement si l’on a une sortie loin ou un horaire à respecter)
- Petit déjeuner et préparation
- Réveil musculaire/gainage/méditation (à tour de rôle, les enfants prennent une activité en charge et la dirigent)
- Sortie dans la vallée proche, en forêt, avec d’autres familles, chez le maraîcher pour une cueillette, vélo, médiathèque, qu’il pleuve qu’il vente ou qu’il neige
- Préparation du repas ensemble ou en autonomie
- Repas en famille avec Xavier qui rentre manger
- Sieste des plus petits et temps calme pour les grands, qui en profitent pour faire des activités (lecture, jeux de société, dessin, peinture, piano avec casque…)
- Goûter à la maison ou dehors, avec des amis scolarisés ou non
- Temps de jeu libre (legos, kaplas…), jardinage, soin aux animaux de la maison
- Activités sportives (judo, basket) en club ou piano suivant les enfants
- Douches, repas, lecture offerte de roman (le dernier terminé : Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne, un living book selon Charlotte Mason)
- Extinction à 21h.
- Temps pour les parents avant de sombrer à 22h !
Les mercredis après-midis, les deux grands ont « club nature » et passent leur après-midi à découvrir la vie sauvage au grand air. Louis et Maxime ont babygym. Le mercredi soir, c’est notre soirée plateau-télé en famille. En dehors, l’écran reste éteint.
Les week-ends sont rythmés par les rencontres sportives et la piscine le dimanche matin. Le dimanche soir, les garçons dorment par deux, à tour de rôle, chez les grands-parents.
Comment tes enfants apprennent-ils alors à lire et à compter ?
Il est difficile de répondre à cette question du « comment » puisque chaque enfant trouve sa manière d’apprendre. L’apprentissage se fait par immersion, comme quand l’enfant apprend à marcher ou à parler. Dans la vie d’un être humain, ces deux apprentissages (la marche et le langage) sont d’ailleurs les plus complexes et pour cela il n’y a pas de manuel ! De la même manière que l’on apprend à parler notre langue maternelle ou une langue étrangère, on peut également apprendre à lire, écrire ou compter. L’enfant apprend parce qu’il a envie d’apprendre, parfois sans en avoir conscience. Nous vivons aujourd’hui dans une société remplie de chiffres et de lettres. J’écoute donc les aspirations de mes garçons sans avoir l’œil sur les programmes et je ne tiens pas compte de l’âge présupposé pour apprendre telle ou telle notion. Je leur fais confiance, je lâche prise et je propose des activités, des sorties, des jeux, des rencontres, des lectures qui nourrissent leur curiosité… Si cela les intéresse, on poursuit. Sinon, je me remets en question et je propose autre chose. Parfois, cela prend la forme d’ateliers type Montessori, de cahiers d’activités, d’exercices plus formels et répétitifs si cela leur plaît. Je pars du principe qu’ils voudront à un moment ou un autre apprendre à lire. Et si ce n’est pas à l’âge de 6/7 ans, soit en CP scolairement parlant, ce n’est pas grave! Ils auront baigné dans des lectures offertes quotidiennes, des temps à la médiathèque, vu leurs grands frères et parents avoir des moments agréables et réguliers de lecture. L’immersion, l’ouverture sur le monde, le respect du rythme de chaque enfant et l’expérimentation sont à mon sens la clé de la réussite. À chacun de se faire et de faire confiance !
Quelles sont les difficultés, attendues ou non, auxquelles tu t’es confrontée ?
Les difficultés auxquelles je m’attendais se sont en partie présentées : je savais déjà qu’il était plus simple de gérer 30 élèves plutôt qu’un seul de ses enfants…Vive la figure d’attachement et tout ce que cela implique ! Donc, parfois, je me dis que je serais plus tranquille dans ma classe avec mes élèves. Mais la majeure partie du temps, je me régale de les voir évoluer, tisser des liens de fratrie, les accompagner dans leurs centres d’intérêts et me rendre compte que je ne connaissais qu’une petite partie de qui ils étaient vraiment lorsque l’on ne partageait que le quotidien, sa routine bien huilée et les vacances qui venaient à point pour souffler. C’est un challenge au niveau de la patience, mais c’est très enrichissant et une remise en question constante.
Une autre difficulté bien réelle est le regard que portent les gens (dans la rue, chez le dentiste, à la médiathèque, au marché …) qui méconnaissent l’IEF et du coup sont très méfiants. Le raccourci et l’assimilation à une secte sont vite faits. Alors, parfois, on prend le temps d’expliquer et puis d’autres fois, on en reste là. Mais une chose est sûre : une des premières questions que les gens posent en nous voyant nous promener sur le temps scolaire, c’est : « Ben, vous n’êtes pas à l’école ? » et hors temps scolaire : « Vous êtes en quelle classe ? ». L’école, c’est comme la météo : un sujet de conversation facile !
Enfin, j’avais peur de la solitude en « perdant » mes collègues. Cette crainte ne s’est pas confirmée car le réseau de familles « non sco » est assez grand et j’ai vite sympathisé avec des familles proches de chez moi donc il ne se passe pas un jour sans que je ne croise un humain en âge de papoter, grignoter ou boire un thé. Et mes collègues passent régulièrement en sortant de l’école prendre un goûter !
Quel retour dois-tu faire auprès de l’éducation nationale ?
Il y a un « contrôle annuel » par un inspecteur. L’éducation nationale veille ainsi à ce que le droit de l’enfant à l’instruction soit respecté. C’est pour chaque famille une loterie, on croise les doigts pour avoir un inspecteur ouvert aux pédagogies alternatives, à l’écoute, sachant manier son jargon institutionnel de manière accessible pour que la rencontre se passe dans la bienveillance réciproque. Dans les faits, c’est une véritable épée de Damoclès, puisque si l’inspecteur juge que les progrès sont insuffisants ou que les moyens mis en place pour accompagner nos enfants sont inefficaces, il demande une contre-visite (comme pour le contrôle technique d’une voiture !) et si le changement n’est pas à la hauteur de l’attente, l’injonction de scolarisation fait sonner le glas de l’aventure… Le droit à l’instruction se transforme alors en devoir !
Après un an d’expérience, quels avantages en retires-tu ?
- Le bien être de nos garçons : l’ambiance est beaucoup plus agréable et détendue que lorsque l’on récupérait Martin cocotte-minute qui avait joué l’enfant modèle durant 10 heures, Louis qui venait de se faire déchirer son dessin et qui avait appris un nouveau gros mot ou Clément qui nous faisait une crise pour ne pas faire ses devoirs…
- Leurs prises d’initiatives: on a des enfants plus acteurs et moins passifs. Ils ont la « chance » de connaître l’ennui et de trouver à s’occuper, de faire fonctionner leur imagination et leur créativité.
- Le rythme plus confortable sans avoir l’impression de courir après le temps. Avoir le temps de vivre son enfance dans un monde où tout doit toujours aller plus vite, c’est un luxe, j’en conviens !
- Le contact avec la nature quotidien (et plus de 2 fois 15 minutes en récréation sur l’enrobé !), qui a mon sens est primordial : comment vouloir protéger quelque chose que l’on ne connaît pas ?
- Choisir ses amis et les gens avec qui on a plaisir à être. Ne plus subir un groupe classe et un enseignant qui nous sont imposés et qui peuvent être difficiles à supporter. Certes, ils doivent supporter leurs frères, mais la dynamique est différente et leurs âges variés aident à réguler les conflits qui surviennent.
- Être maître de ses apprentissages ne se résume pas à choisir si l’on veut faire l’exercice de maths avant celui de français.
- Ne plus attendre qu’on nous serve à la cantine mais participer au choix et à l’élaboration du repas, mettre la table, débarrasser. Ne plus attendre qu’on nous serve une leçon et des exercices mais s’interroger, se questionner, s’organiser pour trouver des réponses… Sur ce point, ils ont d’ailleurs encore du chemin à parcourir !
- Et enfin suivre ses aspirations, écouter qui l’on est vraiment et quels sont nos centres d’intérêts du moment ou plus profonds, apprendre et cheminer au gré de ses envies sans oublier ce que l’on aime. Finir chirurgien alors qu’au plus profond, c’est le travail du pain qui nous passionne ne fera pas de nous quelqu’un d’heureux et d’épanoui ! Il est, à mon sens, et le quotidien avec mes enfants me le confirme, beaucoup plus porteur d’apprendre lorsque l’on met du sens, lorsque cela nourrit un but personnel.
Et les inconvénients ?
Je n’ai plus de salaire…et du coup je ne pourrai prendre ma retraite qu’à 82 ans! Mais comme mes antécédents cardiaques ne jouent pas en ma faveur, ça ne me sert pas trop de cotiser pour une retraite que je ne verrai sûrement pas ! Plus sérieusement, le schéma de « maman s’occupe des enfants, papa travaille » m’est difficile (ayant été élevée par une maman travailleuse et célibataire). Avec les clichés sociétaux, on croit retourner au temps du Petit Nicolas de Goscinny. Mais c’est un choix, je ne subis pas et on n’exclut pas avec Xavier d’inverser les rôles ou de les partager à l’avenir.Comment vois-tu l’avenir ?
On compte suivre les besoins de nos enfants du mieux que possible. L’avenir sera, je l’espère, fidèle à nos aspirations à tous les 6. Pour conclure : pas de portes fermées, que des choix !